Le Secrétaire général de la quatrième Conférence des Nations Unies sur les Pays les moins avancés tenue à Istanbul du 9 au 13 mai 2011, M. Cheick Sidi Diarra a accordé une interview à certains journalistes africains. Dans cet échange, il a rappelé les éléments d’inquiétude et d’assurance par rapport aux lendemains de la Conférence. Il entrevoie quelques avancées de la part des partenaires au développement que des Pays les moins avancés pour que certains de ces derniers puissent sortir de leur statut actuel d’ici à 2020.
Monsieur le Secrétaire général, quels sont vos espoirs quant à la meilleure application du plan d’action d’Istanbul ?
Je crois que la Conférence d’Istanbul se tient à un moment où les économies des pays développés sortent à peine d’une période de crise financière qui a démarré en 2008. Et avant cette crise, il y avait la crise alimentaire puis la crise du pétrole. Ces mêmes situations sont en train de prévaloir aujourd’hui. Le prix du pétrole est monté très haut, cela fait que l’économie mondiale n’a pas pu trouver son rythme soutenu de production de biens et de services. Cela fait que beaucoup de gens sont actuellement sceptiques aux résultatx de la conférence. Mais moi je place beaucoup d’espoir dans le fait que les engagements qui ont été pris à Bruxelles en 2001 seront maintenus au même niveau, sinon renforcés. Si on arrive à maintenir au même niveau que ce qui a été fait à Bruxelles, et qu’on s’acquitte de ces engagements, je pense qu’on pourra mobiliser beaucoup de moyens et même doubler le niveau actuel de l’appui international en faveur des pays les moins avancés. Comme vous le savez, l’engagement pris à Bruxelles en faveur de l’aide publique au développement, c’est d’assurer 0,2% du Produit intérieur brut (PIB) des pays donateurs en faveur des pays les moins avancés. Mais le plus haut niveau qu’on ait jamais atteint du déboursement de l’aide a été de 0,09%. Déjà en maintenant Bruxelles et en s’acquittant des engagements de Bruxelles, l’aide publique pourrait passer de 38 milliards aujourd’hui à près de 80 milliards de dollars rien qu’au profit des pays les moins avancés. Je suis donc optimiste en ce sens qu’en matière de commerce et d’accès au marché, des avancées notables ont été faites depuis 2000. Ce qui est convenu à cette date, c’est de permettre l’accès hors quota et hors tarif au profit de 97% des marchandises et des services en provenance des pays les moins avancés. Notre combat cette fois-ci c’est d’avoir les 100%. A défaut d’avoir les 100%, les 97% s’ils sont optimisés pourraient être profitables aux pays les moins avancés. Pour le moment, il y a très peu de pays qui arrivent à exporter des biens selon les standards internationaux. Il faut donc renforcer les capacités de bénéficiaires pour qu’ils puissent tirer avantages de cela. Pour ce qui concerne les investissements directs étrangers, nous avons vu une hausse sans précédent jusqu’à 33 milliards en 2008 après la crise, et on est arrivé à rester carrément au dessus de 25 milliards de dollars malgré la crise. Ce niveau d’investissement pourrait croitre si certaines mesures que nous avons proposées sont adoptées. Ces mesures-là n’ont pas besoin d’engagements financiers. C’est simplement des mesures d’ordre légal et réglementaire que les pays développés et les pays émergents doivent prendre. Cela consiste à mettre en place des mesures d’incitation fiscale pour les multinationales des pays développés afin qu’elles s’intéressent à investir dans les pays les moins avancés. Les pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil, la Malaisie et la Turquie pourraient agréablement nous surprendre en apportant des initiatives nouvelles de soutien que ce que les donateurs traditionnels sont en train de faire. Dans l’ensemble, je ne suis pas pessimiste quant aux résultats de la conférence. Peut-être que c’aurait été meilleur s’il y avait l’embellie économique qui prévalait quand Bruxelles se tenait en 2001.
Avec votre optimisme, pensez-vous qu’il y aura des pays qui vont sortir de cette catégorie de Pma dans les dix ans à venir ?
Absolument, c’est cela notre aspiration profonde. On s’est fixé comme objectif de faire en sorte que les pays les moins avancés puissent graduer d’ici à 2021. Nous avons déjà cinq ou six pays qui sont sur la pente ascendante. Nous avons dans le Pacifique trois pays, à savoir : Vanuatu, Samoa et Tuvalu. Ce sont de petites îles. Mais de grandes économies sont en train d’arriver, il s’agit de l’Angola et de la Guinée Equatoriale. Nous pensons que les revenus pétroliers sont tellement importants dans ces pays –là et nous pensons que cela va susciter une amélioration de revenu par tête d’habitant dans ces pays.
L’Afrique a bien résisté à des crises. Mais quelles sont les stratégies pour diversifier la production dans les Pma qui connaissent quelques difficultés à mieux se maintenir ?
La plupart de ces pays exportent au maximum un ou deux produits. Et toute l’économie est basée sur cela. Il suffit que le prix de ce produit plonge pour que toute l’économie du pays plonge. L’objectif est donc de diversifier l’économie des pays Africains et des pays les moins avancés. La meilleure stratégie de diversification est celle qui est basée sur une approche intégrée de la diversification. Elle consiste par exemple pour un secteur comme l’agriculture qui occupe 90% de la population active dans les pays les moins avancés, qu’on prenne l’agriculture comme un secteur stratégique et que tout ce qui entre dans l’activité agricole en amont, les intrants c’est –à-dire les semences, tout cela puisse faire l’objet de recherche au niveau local. Et tout ce qui entre dans l’après production donc, en aval : la transformation des produits agricoles, le stockage, la commercialisation, cela peut faire partie d’un certains nombre de programmes qui peuvent aider à consolider l’approche intégrée. L’approche intégrée présente l’avantage de combiner plusieurs secteurs d’activités. Le secteur de la production chimique travaille en produisant à l’interne des engrais, les semenciers, en faisant de la recherche et du développement. Cela entraine des produits à très bas prix à la disposition de l’agriculteur. L’autre stratégie de diversification est la diversification à l’horizontal qui permet de sortir de l’état vicieux de l’extraction minière et de s’orienter vers les secteurs qui emploient plus de personnes dans le pays. Cela peut être le secteur de l’agriculture, de la pêche ou tout autre secteur, mais que l’Etat identifie les activités du secteur économique dans lequel il a un fort potentiel et un avantage comparatif et qu’il développe une stratégie nationale de promotion de ce secteur pour diversifier un peu les sources. Comme cela, si une des sources connait la crise, l’autre source permettra de supporter l’économie. Il faut que l’économie soit sur plusieurs piliers.
Par rapport à l’agriculture dont la terre est le pilier, de plus en plus il y a une politique d’expropriation de ces terres par les investisseurs des pays développés au détriment des populations. On parle même du néocolonialisme agraire, n’est-ce pas là un risque pour les populations des pays moins avancés ?
La stratégie développée par les Nations unies en appui à l’agriculture en Afrique veut que les petits fermiers qui ont des terres très limitées en superficies soient soutenus avec des subventions pour les aider à faire avancer leur productivité. Les pays qui ont fait cela ont eu des résultats. Le Malawi qui a fait des subventions pour l’engrais, ou d’autres pays qui font des avances remboursables, quelle que soit la formule, il faut encourager les petits fermiers à produire plus. Mais je pense qu’on aura besoin des grandes exploitations qui vont nécessairement transférer une technologie qui n’est pas à notre disposition maintenant. Ensuite, on suppose qu’ils vont aussi créer des emplois sur ces fermes. On va supposer qu’une fois la production faite, que ce soit la culture de rente ou la culture vivrière, que l’exportation des produits va générer des recettes pour l’Etat. Cela étant dit, il y a des droits fondamentaux reconnus par les Nations Unies qu’il faut préserver. Il y a un code de conduite qui a été développé conjointement par la Banque Mondiale, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), la Fao et le Bureau international du travail si je ne me trompe, qui donne les grands principes. Cela doit orienter les pays pauvres au moment de décider de leur politique face à ces nouveaux types d’investissement. Ce n’est pas quelque chose qu’on leur impose. Mais c’est des principes qu’on leur demande de faire prévaloir face à ceux qui viennent les voir. Un des principes c’est d’abord d’assurer le droit à l’alimentation des populations autochtones quel que soit le prix. Cela veut dire que s’ils produisent de l’alimentation pour l’exportation, il faudrait d’abord qu’ils s’assurent que les populations des pays dans lesquels la nourriture est produite, que les populations mangent à suffisance avant que la nourriture ne soit exportée. Deuxièmement, le droit de propriété des petits fermiers doit être préservé coûte que coûte. Et s’ils doivent renoncer à ce droit, que cela soit fait de façon volontaire et de manière à ce qu’ils soient au courant des implications qui résultent de la renonciation à ces droits. Il est préférable d’après ce que ces principes proposent que ce contrat soit sous forme de baux emphytéotiques, c’est-à-dire le bail sur le long terme plutôt que la vente des terres. Quand ces investissements viennent, il faut s’assurer qu’ils viennent avec un paquet de savoir faire, des connaissances qui seront transférées. Il y a donc un certain nombre de principes qui portent sur la protection des droits des populations. Le système des Nations Unies propose cela aux Etats.
Venons-en à la question de la gouvernance, les Pma demandent qu’on augmente leurs aides pendant qu’ils n’arrivent pas à consommer ce qu’ils ont déjà reçu. N’y a-t-il pas un problème de gouver-nance ? Et que faire pour être plus crédible devant les bailleurs ?
La question de gouvernance et la question de capacité sont deux choses. Ce que vous venez de dire est d’abord une question de capacité d’absorption. C’est le fait que les institutions de l’Etat ne sont pas toujours en mesure de produire des documents de projets nécessaires qui sont appropriés et convaincants pour bénéficier des financements. Mais, il y a une autre chose qui ne dépend pas des pays les moins avancés. Il y a ce qu’on appelle la fragmentation de l’aide. Plusieurs donateurs viennent travailler sur les mêmes secteurs. Ensuite, les mêmes donateurs sont appelés à couvrir plusieurs secteurs à la fois. Et pour chacun des secteurs couverts, les donateurs exigent la soumission des rapports annuels d’évaluation et beaucoup d’autres documents. Il y a des pays qui sont appelés à soumettre plus de 100 rapports par an aux donateurs pour souvent 50.000 dollars, 300. 000 dollars, c’est très contraignant. Pour solutionner cela, il a été dit dans la déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide qu’il faut plus de cohérence et de concertations en matière d’attribution de l’aide. Il faut donc un mécanisme paritaire local qui permette de donner à chaque pays donateur un secteur selon son avantage comparatif. Si un pays est bon dans les questions d’eau potable ou de santé, qu’on lui confie à lui seul ces questions. Cela permet de mettre le paquet de ressources sur un secteur bien déterminé. L’autre chose est de réduire la paperasserie par le moyen de l’aide budgétaire directe. Au lieu de donner de l’aide suivant de petits projets de 20 ou de 30.000 dollars, qu’on alloue un montant au budget national de l’Etat. L’Etat choisit les priorités vers lesquelles il oriente les ressources et à la fin, il présente un rapport sur l’utilisation de ces ressources. Certes, il y a un peu de résistance de la part de certains donateurs, mais la tendance est d’encourager l’aide directe au budget.
Maintenant en ce qui concerne la gouvernance, il a été constaté que les ressources allouées ne produisent pas suffisamment d’impact sur le terrain. On ne voit pas les répercussions positives des milliards qu’on engloutit dans l’aide publique au développement. La déclaration de Paris dit qu’il faut avoir une approche orientée vers les résultats. Cela veut dire qu’au bout du financement, ou à mi-parcours du financement, qu’on puisse montrer une route, ou un hôpital ou une école qui a été réalisé avec les moyens alloués. Cela est nécessaire, car chez nous, il y a beaucoup de corruptions. Il y a une élite qui s’accapare de tout ce qui est donné au peuple. Il faudrait qu’on rende des comptes sur l’utilisation des ressources alloués. L’obligation de rendre compte est valable pour nos pays et pour les donateurs aussi qui doivent rendre compte. A partir du programme d’action d’Istanbul, cette tendance va se consolider.
Certains parlent de la taxation des transactions. Etes-vous de ceux qui pensent qu’il faut taxer les transactions financières des migrants des Pma ?
Non, les transactions financières de migrants ne sont pas concernées. Au contraire, nous luttons pour la réduction des charges liées aux transactions financières des migrants. On parle des spéculations boursières. Il y a trois trillions de dollars qui circulent chaque jour dans les transactions boursières. On dit qu’il faut taxer à 0,05% chaque transaction. Et cela va aider à générer 50 milliards de dollar par an. Mais on n’arrive pas encore à s’entendre sur l’utilisation. Il y en a qui disent que cela soit dédié aux changements climatiques, moi je demande à ce que ce soit dédié aux pays les plus pauvres, d’autres disent de dédier cela à un fonds de stabilisation des spéculations financières. Et puis, il y a certains pays qui sont opposés. Le Royaume Uni et les Etats –Unis, d’un point de vue philosophique ne sont pas favorables pour qu’on taxe les transactions financières. Par contre, des pays comme la France, le Portugal, l’Espagne, l’Italie si je ne me trompe sont favorables. Il y a aussi la taxe sur les billets d’avion. Certains pays le font volontairement déjà à un dollar sur les billets d’avion pour les vols à l’interne et certains vont jusqu’à 9 dollars sur les vols internationaux sur les business classes pour financer des projets de santé. La France fait cela déjà.
J’ai donc globalement espoir qu’au-delà de tout, Istanbul donne des signes d’espoir et chacune des parties doit respecter les différents engagements.
Reporter
MIGAN S. BRUNO